Le droit d'alerte s'exerce au niveau de l'entreprise

Publié le par Jérôme Bry

 Permettant aux comités de réagir quand la situation économique de l'entreprise est préoccupante, le droit d'alerte n'est pas ouvert aux comités d'établissement.

 

La société Intertechnique comporte plusieurs établissements, dont un à Plaisir. En 2002, le comité d'établissement se met à nourrir de grandes inquiétudes, précisément sur le devenir économique du site de Plaisir. Aussi, ses membres élus décident-ils de faire usage du " droit d'alerte " prévu à l'article L. 432-5 du Code du travail.

 

Rappelons, en quelques mots, en quoi consiste ce droit, institué par la loi du 1er mars 1984, relative à la prévention des difficultés des entreprises. Il permet au comité, lorsque celui-ci " a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise ", de demander à l'employeur, dans un premier temps, de lui fournir des explications sur cette situation. Dans un deuxième temps, si le comité d'entreprise estime qu'il n'a pu obtenir de réponse suffisante ou encore si l'employeur confirme le caractère préoccupant de la situation, il peut convoquer le commissaire aux comptes et établir un rapport en se faisant assister, s'il le juge utile, d'un expert-comptable et de salariés non élus qu'il choisit.

 

Le rapport ainsi élaboré est ensuite envoyé à l'employeur et au commissaire aux comptes.

 

En fonction des conclusions de ce rapport s'ouvre ou non une troisième phase, celle de la saisine pour information des organes d'administration ou de surveillance de l'entreprise. A défaut d'existence de tels organes, ce sont directement les associés qui seront informés. C'est par cette troisième étape que l'alerte est réalisée.

 

Inutile de dire que les employeurs redoutent ce droit d'alerte, tant pour le mauvais effet qu'il peut faire sur les actionnaires et la clientèle que pour le climat délétère qu'il risque d'instaurer au sein du personnel. De plus, le déclenchement de l'alerte est une façon de prendre l'employeur en défaut : il n'a pas prévu ce qui arrive ou, s'il l'a prévu, il n'en a pas informé le comité, ce qu'il aurait pourtant dû faire.

 

Aussi ne faut-il pas s'étonner que la société Intertechnique ait cherché à arrêter la procédure. Elle s'est fondée sur l'argument suivant : l'article L. 432-5 prévoit que la mise en oeuvre d'une procédure d'alerte est une prérogative du comité " d'entreprise " ; en cas de pluralité d'établissements, cette prérogative revient donc au comité central et non à chacun des comités d'établissement.

Les élus de Plaisir lui rétorquent que les comités d'établissement disposent des mêmes prérogatives que les comités d'entreprise. Simplement, leur champ d'investigation est limité au seul établissement qu'ils représentent. Le chef d'établissement dispose de pouvoirs suffisants pour que l'autonomie de l'établissement ait justifié la mise en place d'un comité qui lui soit propre. Il est donc possible d'enclencher le droit d'alerte.

 

Plusieurs cours d'appel ont déjà été saisies de ce problème et y ont répondu en reconnaissant le droit des comités d'établissement. Pour les cours d'appel de Paris et de Lyon, en particulier, le terme " comité d'entreprise " utilisé dans l'article L. 432-5 du Code doit être interprété " dans son sens générique englobant le comité d'établissement ", dès lors que les faits à l'origine de l'alerte étaient de " nature à affecter de manière préoccupante la situation de l'établissement " (CA Paris, 30 janv. 2002 et CA Lyon, 2 sept. 2002).

 

On attendait avec impatience que la Cour de cassation se prononce, et l'occasion vient de lui en être donnée par l'affaire Société Intertechnique.

 

Son point de vue est diamétralement opposé à celui des cours d'appel de Paris et Lyon. Pour les hauts magistrats, le droit d'alerte, tel qu'il a été institué par le législateur, concerne la situation économique de l'entreprise dans sa globalité.

Or qui a compétence pour traiter de ce qui concerne la marche générale de l'entreprise ?

 

Selon l'article L. 435-3 du Code du travail, c'est le comité central. Peu importe que les faits ayant suscité l'inquiétude ne concernent qu'un seul établissement (Cass. Soc., 1er mars 2005, no 03-20.429).

 

La position de la Cour de cassation est extrêmement logique. Si la situation économique est alarmante, il faut s'adresser à celui qui conduit l'entreprise, celui qui est responsable des décisions prises, celui qui a les remèdes en main, en d'autres termes, au " vrai patron ". Ce n'est certainement pas le chef d'établissement, qui lui est subordonné, qui peut résoudre les difficultés.

 

Publié dans Jurisprudence

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